J'ai toujours
plaisir à découvrir des histoires qui vous dépaysent par leur géographie
lointaine, leur contexte différent de notre vie de tous les jours. Avec Prières pour celles qui furent volées,
je fus servie.
On y suit le
parcours de Ladydi, jeune fille mexicaine habitante de la dangereuse région du
Guerrero. Avec sa mère et ses amies – Paula, Estefani, Maria, Ruth etc., elles
savent toutes les dangers qu'encourent les jeunes filles dans cette province :
non seulement les bêtes, les scorpions albinos, le pesticide très toxique
Paraquat déversé par hélicoptère par l'armée pour tuer les plantations des
trafiquants, et surtout le pire d'entre eux
qu'elles nomment pudiquement "être volée". Durant la première
partie du roman, on la suit donc dans sa cabane à la construction inachevée,
faisant chaque jour le trajet jusqu'à l'école qui l'oblige à traverser
l'autoroute, guettant le moindre bruit d'hélicoptère (le Paraquat) ou pire de
4x4 (les "voleurs").
Ce roman est
avant tout l'histoire d'un pays bouleversé par les cartels, la drogue, la
corruption, la misère, aux priorités chamboulées, où même si on ne vit que dans
une cabane en tôle et en béton, on a la parabole et la télé grand écran, et où
les filles se déguisent en garçon jusqu'à leur adolescence pour faire croire
aux voleurs qu'il n'y aura rien à "voler" dans la région.
Jennifer Clément
diffuse un certain humour tout au long du roman, à commencer par ce prénom
saugrenu pour son héroïne : Ladydi. Ou encore quand elle relate cette croyance
qu'a la mère qu'il ne faut pas prier pour ce qu'on souhaite vraiment, sinon on
ne l'aura jamais mais toujours pour des choses très matérielles et secondaires
qui sont sensées cacher les vraies demandes et donc les exaucer. "Depuis que j'étais enfant, ma mère me
disait de faire des prières pour demander des choses. Nous le faisions
toujours. J'avais dit une prière pour demander les nuages et pour un pyjama.
J'avais fait une prière pour demander des ampoules électriques et des abeilles.
Ne demande jamais l'amour et la santé, disait ma mère. Ou de l'argent. Si Dieu
entend ce que tu désires vraiment, tu ne l'auras pas. Garanti. Quand mon père
nous a quittées, ma mère a dit : "Mets toi à genoux et demande des
cuillères""
Ce livre fait le
portrait des femmes mexicaines : la mère kleptomane et sur-protectrice (à
raison), les filles volées, les bébés-poubelles, les abandonnées, les malades …
"C'était une petite indienne du
Guatemala à la peau sombre aux cheveux raides et noirs. Moi j'étais un mélange
de sang espagnol et aztèque du Guerrero, également la peau sombre et de taille
moyenne […]. Nous n'étions que 2 pages dans le livre d'histoire de ce
continent. On aurait pu nous arracher de ce livre, nous froisser et nous jeter
à la poubelle'
Enfin, c'est
surtout le récit d'un amour maternel indestructible, celui de Rita pour Ladydi
; Rita qui l'attend des heures dans la clairière dans la forêt (seul endroit de
leur région qui ait du réseau) pour recevoir un appel de sa fille partie à la
ville, Rita qui remue ciel et terre pour la retrouver, qui mettra même sa vie
en danger pour la protéger des "voleurs"
Rien ne nous est
épargné sur la dureté de la vie là-bas, pourtant je dois reconnaitre que ce
déballage est plutôt subtil, simplement évoqué. On ne tombe jamais dans la
description sordide par le menu de toutes les horreurs que peuvent connaître
les jeunes filles. En revanche, cette pudeur donne malheureusement parfois
l'impression de lire un roman à destination des adolescentes tant certaines
choses y sont éludées, et tant le style peut paraitre enfantin parfois, reproche
principal à faire à ce roman qui pêche par trop de simplicité.
Prières pour celles qui furent volées, de Jennifer Clément chez Flammarion












