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jeudi 23 avril 2015

Les grands



Les Grands fait figure d'ovni dans la sélection du prix ELLE: thème atypique (un groupe de musique qui se retrouve à l'occasion du décès d'une de leurs membres), lieu encore plus atypique - la Guinée Bissau, moment historique peu connu puisqu'à la veille d'un coup d'état qui secoua le pays, et enfin un style très fleuri mais parfois difficile à appréhender.

L'auteur nous emmène suivre Couto, le leader du groupe Mama Bongo, ex-amoureux de la belle chanteuse Dulce qui vient de décéder. A coups de flashbacks, l'auteure nous fait revivre les moments de gloire du groupe, les premiers instants de déliquescence, l'amour commun de la musique.
L'action au présent, elle, se déroule sur un seul jour - pourtant bouleversant à plusieurs titres, pour l'artiste et pour le pays.

Il y a quelque chose de poétique dans ce livre mais également d'assez hermétique pour le lecteur du fait de l'écriture difficile à suivre, des constructions de phrases inhabituelles. Un choix étonnant de mes consœurs jurées - face à d'autres romans apparemment plus ... faciles.

Les grands de Sylvain Prud'homme chez l'Arbalète

Angor



Angor effraye un peu de prime abord par sa masse imposante et sa couverture relativement terrifiante mais on reconnait bien là la marque des policiers de Franck Thilliez ; puis Angor effraye d'autant plus une fois que vous avez le nez dedans : crimes abominables, meurtriers sans scrupules et enorgueillis de leurs atrocités, ambiances glauques et catacombes...

Angor a le double mérite d'être 1) un policier très bien ficelé et 2) de se parcourir d'une traite (ce qui est certes le corollaire du premier) malgré ses 600 pages bien tassées. On y suit l'enquête de Sharko et Lucie, le couple de jeunes parents de la brigade criminelle du 36 quai des orfèvres, suite à la découverte d'une jeune femme retenue captive dans une cave-grotte, découverte au hasard du déracinement d'un arbre pendant une tempête.
De là, on sillonne la France, l'Espagne, l'Argentine à la poursuite d'indices et de pistes plus ou moins prometteuses.

Franck Thilliez suit une construction millimétrée qui permet à chaque chapitre de distiller à la fois suspense et poire pour la soif d'avancement du lecteur, mais peut paraitre du même coup un peu trop calculé ou rigoureux :  une nouvelle information à chaque chapitre qui se "paye" aussitôt par une nouvelle question qui se pose pour les enquêteurs. Cette caractéristique, de même que l'abondance de détails sordides contribuent à ne pas m'emballer pleinement sur ce roman policier - qui par ailleurs, rappelons-le en toute bonne foi, fonctionne vraiment très bien !

Angor, de Franck Thilliez chez Fleuve Noire

La Scierie




Déniché dans une jolie librairie, ce livre m'a tout de suite attirée par sa belle couverture couleur papier kraft et son dessin naïf d'une scierie, puis intriguée par le terme "récit anonyme présenté par Pierre Gripari".

En effet, La Scierie est une sorte de journal de bord écrit a posteriori par le narrateur et auteur, décrivant ses deux ans passés dans diverses scieries pour gagner sa vie entre le bac et l'incorporation au service militaire. L'auteur nous livre ici une sorte d'ode au travail manuel, sans jamais s'apitoyer sur son sort ni toutefois masquer la terrible difficulté et dangerosité de ce métier qui nécessite sans cesse attention, acuité et force brute pour ne pas se laisser happer sous les scies circulaires.

Daté des années 50, ce livre interpelle par son intemporalité et son rythme happant - impossible de lâcher une fois entamé, ainsi que son prologue subtil de Pierre Gripari.
L'auteur captive par sa loyauté, sa dureté, mais également par son style d'écriture qui rend si vivant tous les bruits et stress de la scierie - nous permettant même de passer outre le jargon propre à la scierie utilisé fréquemment au fil du récit (billes, billots, dégo, griffes, ...)
On est frappé parfois par la cruauté du narrateur envers ses collègues, lui qui en vient à espérer que d'autres se blessent - mais également par la terrible réalité de ces métiers où un ouvrier malhabile peut mettre en péril la vie de tous les autres ...

Un récit très atypique, tant par son sujet que par sa forme - confession sans fard d'un jeune homme volontaire sur l'âpreté dont il a fait montre pendant ces deux ans en scierie.

La Scierie, récit anonyme présenté par Pierre Gripari, éditions Héros Limite

lundi 30 mars 2015

L'homme de la montagne


 
Ayant apprécié Un long week-end, je partais confiante dans ce nouvel opus de Joyce Maynard, sans même avoir lu la 4ème de couverture. L’Homme de la montagne  était un titre qui évoquait bien tout ce qu’il y avait alors dans le roman : un type mystérieux, rôdeurs des hauteurs de San Francisco qui va susciter l’enquête de deux jeunes filles pré-adolescentes.

A chaque page, j’ai cru qu’on allait enfin arriver à l’événement clé du roman, jusqu’à enfin arrivée aux 9/10èmes du livre  où j’ai bien dû admettre qu’il ne se passerait désespérément rien à part les réflexions d’une fillette sur un tueur en série et sa condition de future adolescente. Finalement, tout se résout presque magiquement, sous forme d’épilogue bâclé après nous avoir fait mariner plusieurs centaines de pages.

De plus, le roman pêche par sa traduction très hasardeuse et littérale façon Google Translate, une caractéristique étonnante pour une maison d’édition comme Philippe Rey. On notera le « sans particulière attention » (qui traduit directement de l’anglais la position de l’adjectif avant le nom) ou encore le « un peu trop tard pour démissionner » en parlant d’arrêter la cigarette (traduction directe du « quit smoking »).

 En lisant finalement la 4ème de couverture, je reste pantoise devant le terme « rebondissements ahurissants » car rien de tel dans ce roman, ennuyant de bout en bout.

L'homme de la montagne, de Joyce Maynard chez Philippe Rey.

Une constellation de phénomènes vitaux


 
En lisant le résumé et une critique  sur ce roman dans un magazine, j’avais tout de suite été attirée par ce livre ; aussi fus-je  ravie de le découvrir dans la sélection du Prix ELLE et je ne fus pas déçue.

Anthony Marra explore une histoire récente trop méconnue du grand public : la guerre de Tchétchénie, du point de vue du personnage d’Akhmed principalement, médecin pataud d’un petit village qui va se retrouver, comme tant d’autres Tchétchènes, un peu malgré lui impliqué dans cette guerre dont les enjeux le dépassent.

Anthony Marra opte pour une construction bien particulière de son roman, faite de flashbacks et de voix différentes à chaque chapitre, tantôt Akhmed, tantôt Sonja, la brillante médecin chef de l’Hopital 6 de la « ville », tantôt Khassan, le père du collaborateur russe. Cette construction donne sa patte au roman fascinant, parfois difficile à suivre, comme des souvenirs qui reviendraient par flashs, mais captivant, brutal indéniablement perturbant.


L’histoire démarre avec l’accueil par Akhmed d’Havaa, la fille de son ami Dokka alors que celui-ci a été enlevé par les Russes en pleine nuit, dans une de ces descentes éclairs et terrifiantes dont les soldats russes ont le secret pour museler et effrayer la population tchétchène. Commence alors pour Akhmed une quête obstinée pour mettre Havaa à l’abri, car les Russes n’auront de cesse de retrouver l’enfant : par pure obstination bureaucratique, aucun membre de la famille d’un traitre ne doit survivre. C’est ainsi qu’Akhmed va rencontrer Sonja, la renommée médecin chef de la ville voisine, ruine à ciel ouvert, désespérément démunie  d’instruments et médicaments.

 
Une constellation de phénomènes vitaux ne peut pas laisser indifférent et frappe parfois au cœur en découvrant les absurdités et les horreurs de la guerre tchétchène, mais surprend également par son incroyable témoignage de la résilience et de l’ingéniosité des populations civiles pour survivre dans les ruines, les champs de mines et l’absence de ravitaillement.
« Les soldats russes n’étaient payés que s’ils utilisaient un certain pourcentage de leurs munitions. Quand ils en avaient assez de tirer en l’air, ils enterraient leur surplus de balles puis les déterraient quelques heures plus tard et touchaient ainsi une prime pour avoir découvert une cache rebelle »


Ce qui séduit et déstabilise aussi dans ce roman, c’est l’extraordinaire humour de l’auteur, pourtant rendu difficile dans ce contexte parfois très sombre de ce roman, mais qui n’en transparait pas moins.
« L’Hôpital 6 l’embaucha sans lui demander son CV ni lettres de recommandation. Quand elle présenta ses références de praticienne à Londres, Deshi roula le document en  boule et le jeta sous son bureau en expliquant que le Docteur Poubelle prendrait contact avec tous ses précédents employeurs pour vérifier ses dires. »

Un roman à lire le cœur bien accroché mais dont on sort soufflé.

Une constellation de phénomènes vitaux, d'Anthony Marra chez JC Lattès

jeudi 26 février 2015

Mon année Salinger



J’ouvrais ce récit avec la plus grande circonspection : la vie d’une New Yorkaise dans les années 90 étant un sujet pour le moins rabattu et la touche « Salinger » ne soulevait pas l’enthousiasme qu’elle était sensée générer – n’en ayant lu que l’Attrape-Cœurs et encore sans conviction.

Pourtant dès la 2ème page, j’étais mordue et je lus d’une traite ce récit  de Joanna Krakoff sur son année dans le monde de l’édition, au cœur d’une agence littéraire chargée de représenter entre autres, Salinger.
La plongée dans le monde littéraire et l’équivalent new-yorkais du gratin « germano-pratin » s’avère passionnante : on les découvre sous l’angle de cette agence d’auteurs qui vit comme hors du temps tiraillée ses associés réticents à toute nouvelle technologie (PC, scanners …) et une nouvelle garde friande de contrats à enchères, de publicité, de marketing des auteurs, de mode de rémunération plus audacieux.

Le sel du récit provient surtout d’un triptyque intéressant autour de Joanna, la narratrice : sa boss (dont on ne sait jamais le nom), que Joanna dépeint tour à tour avec admiration, pitié, incompréhension, dédain et avec qui la relation ambivalente rappelle bien les relations professionnelles en général ; et enfin Salinger, « Jerry », l’auteur reclus qui ne communique qu’à travers l’agence. Leurs relations à tous les trois évoluent de façon surprenante au fil du récit, emportées par l’actualité plus ou moins heureuse de chacun des trois personnages.

En parallèle, c’est un retour au New York des années 90’s – plus «Girls » que « Sex and the City », plus Brooklyn que Manhattan,  pour suivre Joanna dans sa vie quotidienne avec Don, son petit ami aspirant écrivain et leurs amis aux perspectives incertaines.

On ne lâche pas le récit, captivé par l’histoire ordinaire du monde littéraire tellement bien racontée par Joanna Krakoff. 

Mon année Salinger, de Joanna Reed Krakoff chez Albin Michel

Le Village




Dans la sélection du Prix ELLE, ce roman policier détonne déjà par son contexte historique, peu connu, peu défriché en littérature – et donc d’emblée passionnant : l’Ukraine de l’après-guerre, des purges staliniennes, des traques absurdes aux koulaks, des déportations massives de « travailleurs » en Sibérie (où c’est bien connu il y aura plus de champs à faire fructifier pour faire vivre les millions de Russes que le grenier de l’Europe qu’est l’Ukraine).

Dans un petit village perdu et bien caché des purges, Vyrit, Luka ancien soldat et chasseur, aperçoit un jour, marchant seul et tirant un traineau bien chargé, un homme presque déjà mort qui lui tombe dans les bras. D’abord étonné et toujours inquiet – en ce temps tourmentés, les inconnus dans les endroits perdus ne sont pas bienvenus,  Luka découvre sur le traineau deux enfants morts et mutilés. L’homme inconnu est déjà presque mort, blessé par balle et ne peut pas parler : les a-t-il tués ? les a-t-il sauvés ? Les villageois eux, ne se posent pas la question et chauffés à blanc par la terreur ambiante ne lui laissent pas le temps de se défendre.
Mais bientôt, la nièce  de Luka disparaît et il s’engage donc à partir à sa recherche avec ses fils. Commence alors une longue poursuite dans les bois pour retrouver l’enfant : s’est-elle perdue ou a-t-elle été enlevée ?  Il faudra toute la force et l’expérience d’ancien soldat de Luka pour mener à bien sa quête entre les dangers du froid, le tueur expérimenté qui rôde, les dangers du froid et les guépéistes qui sont en route vers Vyrit pour déporter les koulaks.

Ce roman tient en haleine mélangeant le policier et le roman d’aventure dans un contexte historique captivant. Dan Smith nous offre une traque inhabituelle qui ravit le lecteur par sa fraicheur et ses surprises de narration, avec le bon point supplémentaire de faire porter l’histoire par des personnages attachants et pleins de bon sens (qualité parfois trop rare dans les romans policiers).
C’est aussi une réflexion intéressante sur l’après-guerre pour le soldat, militaire de carrière.

A lire absolument ! 

Vongozero

 
 
Quel roman d’aventures haletant proposé ce mois-ci par le Prix ELLE ! Dans la digne lignée du Village précédemment encensé ici, tant pour la  localisation russe que pour le bon sens de ses personnages, Vongozero captive et tient le lecteur en haleine malgré l’épaisseur du livre.
Yana Vagner nous concocte ici un récit comme je les aime d’apocalypse réaliste façon Malevil ou La Route. Ici point de catastrophe nucléaire mais une épidémie  galopante d’une sorte de pneumonie fatale qui dévaste Moscou en quelques semaines. Observant cela, Anna et son mari Serguei hésitent sur la conduite à tenir ; il leur faudra l’intervention de Boris, le père d’Anna pour les convaincre de fuir le mouroir où ils résident avant qu’il n’y ait plus que pillards et malades dans les rues. Leur direction : Vongozero, un lac au nord du pays, à la frontière avec la Finlande où Serguei et Boris avaient l’habitude d’aller pêcher.
Dans leur équipée, ils s’adjoignent Micha, le fils d’Anna, Irina et Anton, l’ex-femme et le fils de Serguei, et leurs voisins Dimitri et Marina dont la maison s’est déjà faite vandalisée.
Entre le risque de contamination, les éléments naturels peu cléments de l’hiver russe, le manque de carburant et de nourriture, et enfin les pillards, on suit les pérégrinations d’Anna et les autres à travers la Russie sans jamais s’ennuyer grâce à un rythme excellemment maitrisé et des personnages attachants et au bon sens réjouissant.
A lire si vous avez aimé Malevil ou La Route.
 
Vongozero, de Yana Vagner, éditions Mirobole

dimanche 18 janvier 2015

Constellation


Constellation – un titre en référence non seulement au nom du modèle d’avion Lockheed qui s’écrasera aux Açores le 27 octobre 1949 et dont le destin des passagers nous est ici conté, mais également comme en référence à la nuée de trajectoires et de concours de circonstances qui ont mené tous les protagonistes à leur place respective ce jour-là.

Ce crash d’avion n’aurait pu connaître qu’une moindre postérité s’il n’avait eu pour victimes (au moins) deux grands noms des arts et des sports français : Marcel Cerdan « Le Bombardier », le boxeur mythique qui s’en allait rejoindre urgemment Edith Piaf à New York et Ginette Neveu, la violoniste de génie en partance pour sa tournée américaine.

Adrien Bosc nous fait revivre les événements avant le drame, l’histoire de chacune des victimes, ce qui les a conduits plus ou moins incidemment à se trouver à bord du vol qui allait finir sa course sur le mont Redondo, mais également l’enquête puis les découvertes de la terrible nouvelle par les proches.

Il y a des destins étonnants parmi les 48 passagers et membres d’équipage : des anciens résistants, soldats français, mais aussi des personnes en partance pour une vie nouvelle telle Amélie Ringler à qui sa marraine offrait sa succession aux Etats-Unis, Mme Hennessy allant chercher ses filles pour venir en France définitivement, cinq bergers basques partis tenter leur chance dans les ranchs de l’Ouest Américain.

Certes il y a de la matière à partir des histoires des victimes mais l’addition de bribes de vie voire d’anecdotes peut laisser un peu sur sa faim et cela malgré le style d’Adrien Bosc – toutefois un peu tarabiscoté (oserait-on dire arrogant parfois).
Aussi, on aurait aimé en savoir plus sur la tragédie d’Edith Piaf ou mieux comprendre ce qui a préjugé au choix de zoomer sur  certains protagonistes plutôt que d’autres totalement laissés dans l’ombre. Le travail de recherche est impressionnant mais l’appellation « roman » semble trompeuse pour qualifier ce livre, documentaire plus que fictionnel. 

Constellation, d'Adrien Bosc chez Stock

La Robe d'Hannah



“La robe d’Hannah” fait référence à une des nombreuses histoires que relate Pascale Hugues dans son document – en l’occurrence, celle de Hannah et Suzanne, deux amies inséparables du Berlin d’avant-guerre qui seront séparées pour toujours par la guerre. Cette histoire s’inscrit dans la plus grande Histoire que Pascale Hugues essaye de nous narrer : celle de sa rue. Sans jamais nous dire son nom, elle revient sur les différentes étapes de construction, de démolition et de reconstruction de sa rue à travers les habitants de tout temps de celle-ci dont elle a retrouvé la trace.

Le document de Pascale Hugues constitue donc plutôt une série d’anecdotes pas du tout inintéressantes sur le passé de quelques illustres locataires ou propriétaires de cette rue, Juifs émigrés en 1930, Allemands ordinaires de cette période, David Bowie même pendant une courte période.

On comprend bien la passion et le dévouement de Pascale Hugues à rendre hommage à sa rue. Pourtant il y a quelque chose de singulier dans cette entreprise qui semble un peu démesurée par rapport à l’enjeu : ainsi sillonne-t-elle le monde pour recueillir quelques témoignages (de LA à Jérusalem tout de même), que de dépenses !!!

L’ensemble est intéressant et se lit sans difficultés mais il y a sans doute bien plus à dire sur Berlin à travers le siècle. Et cette rue ne nous en donne qu’un aperçu bien mince qui laisse un peu sur sa faim

La robe d'Hannah, de Pascale Hugues

mercredi 19 novembre 2014

L'Exception


J'aurais pu craquer rien que pour sa couverture tant le graphisme réalisé par Zuma attire l'œil par ses belles couleurs et géométries.
Ayant déjà lu Rosa Candida de la même auteure sans grande conviction, j'entamais celui-ci avec quelques réticences passé l'argument de la première de couverture chatoyante.

Ici l'auteure choisit une thématique oserais-je dire, "dans l'air du temps" puisque Maria se voit brutalement quittée par son mari Floki, lequel part pour aller vivre avec son collègue – lui aussi nommé Floki. L'idée originale aurait pu faire un roman intéressant sur les choix imposés par la société, le ressenti des femmes quittées pour un homme, les questions quant aux 13 années passées avec son mari, ou encore le rôle du beau-père dans les familles recomposées mais rien de tout ça ici – ni réflexion réelle sur le couple, le divorce, l'homosexualité. Audur Ava Olafsdottir déroule simplement une histoire avec quelques (beaucoup?) d'invraisemblances et de comportements étonnants.

Comme dirait quelqu'un que je connais bien, c'est peut-être "à prendre comme un conte", mais là elle y va un peu fort de café sur le déjanté irréaliste. A commencer par la naine Perla, écrivain de polars, voisine de Maria, psychologue à ses heures perdues qui parle comme un grand sage du haut de sa montagne. "Je crains que les mots ne te soient pas d'un grand secours. D'expérience, les gens ne comprennent pas tous les mots de la même manière. Un des exemples que je reprends pour mettre en évidence l'aspect imprévisible des sentiments humains est qu'il peut suffire d'une conduite d'eau chaude qui éclate pour que deux couples qui habitent sur le même palier décident de divorcer"
Quelques réflexion affleurent de-ci, de là via le personnage de Maria sur sa culpabilité, ses remords, comment faire face mais restent assez épisodiques et sont toujours stoppées par les interventions intempestives de Perla, la naine curieuse et indiscrète.

Outre le comportement étonnant de Perla, le livre achoppe également sur celui-ci de Floki – d'une froideur glaciale au moment de l'annonce, mais qui consent entre deux témoignages d'une indifférence totale envers Maria à coucher avec sa future ex-femme pour la consoler.
En parallèle de l'histoire principale, on ne nous épargne rien des récits annexes plus invraisemblables encore que la trame originale : un père biologique subitement réapparu, une procédure d'adoption, un ornithologue transi …

Le roman se lit très vite mais souvent avec un soupir devant le style un peu "gâché" de l'auteure autour de ces histoires sans intérêt ni résonance.

J'ai gardé pour la fin quelques citations de Perla, la naine envahissante ou d'autres personnages pour donner une idée + précise de l'aspect abracadabrantesque de ce personnage et de l'histoire.
"Sans être curieuse de nature, je n'ai pu m'empêcher d'apercevoir du foie gras dans ton frigo. Et il ne m'a pas non plus échappé que tu n'avais pas beaucoup d'appétit, d'où ma question : quelles sont les chances que tu le consommes avant la date de péremption ?"
Un employé des pompes funèbres particulièrement délicat – et sans aucune trace d'ironie de la part de l'auteure : "Il y a un risque de respirer involontairement la cendre de l'urne. C'est arrivé que des proches du défunt en contractent une pneumonie. Quand c'est une femme qui signe le reçu, je prends l'exemple du tiramisu : il faut faire attention à ne pas respirer le cacao dont on a saupoudré le crème. La plupart des hommes voit mieux l'idée avec un vieux parquet, ils savent bien que pour le poncer, mieux vaut porter un masque"
 
L'exception, d'Audur Ava Olafsdottir chez Zulma

mardi 18 novembre 2014

L'Oural en plein coeur

 

Ce document vient donner un éclairage un peu nouveau sur ces personnes fascinées par la Russie ; après Emmanuel Carrère et Olivier Rolin, Astrid Wendlandt nous fait découvrir elle aussi "sa" Russie à travers le récit de son voyage dans l'Oural – que je ne situais d'ailleurs pas du tout aussi à l'Est que cette région n'est vraiment.
Initialement partie pour un voyage linguistique dans l'accueillante ville de Tcheliabinsk, elle y reviendra ensuite pour revoir son amoureux de jeunesse Micha. C'est alors le point de départ d'un grand périple dans l'Oural.

Contre toute attente, les longues descriptions de paysage – depuis les sites sidérurgiques aux villages en bois se révèlent passionnantes, malgré le petit regret persistant quant à l'absence de photographies pour agrémenter le récit (occasionnant donc quelques recherches images google pour vérifier la bonne adéquation entre mon imagination et la réalité). De même, tous les récits des chamboulements de la vie quotidienne générés par l'ouverture de l'économie de marché étonnent et captivent, servis par nombre d'anecdotes surprenantes.
En revanche, l'auteur ne réussit pas vraiment à briser la glace avec son lecteur, à créer une réelle proximité. Il faut dire qu'elle est assez intimidante, Astrid, avec son quadri-linguisme, son appétence pour les steppes perdues, sa passion pour l'escalade et la montagne de haut niveau…

Le début du livre enchante par la découverte de ces terres inconnues, qu'on a l'impression de découvrir au même rythme que l'auteur, avec l'émerveillement et la curiosité des premières fois. Ensuite, au fil du récit, on comprend qu'elle a déjà bourlingué tellement en Russie qu'elle se laisse de moins en moins surprendre par ce qu'elle relate, ce qui crée une sorte de double vitesse, de décalage entre le lecteur et l'auteure.

Enfin , au fur et à mesure que son voyage se transforme en histoire d'amour, on comprend mieux pourquoi elle a voulu faire ce récit, fondateur pour elle mais on se sent un peu tenu à l'écart.
 
L'Oural en plein coeur, d'Astrid Wendlandt chez Albin Michel

L'oubli


L'Oubli est sûrement catégorisé à tort comme thriller ou roman policier alors qu'il n'a de ce genre que la couverture sombre et quelques mystères résolus très rapidement en fin d'ouvrage.

Ce roman est avant tout un roman psychologique, une immersion dans le monde d'Alzheimer, puisqu'on y suit Maud, octogénaire atteinte de la maladie et donc sujette à de nombreuses pertes de mémoire et étourderie. Jusqu'au premier tiers du livre, je n'ai pas du tout accroché avec ce roman, mise très mal à l'aise par la plongée dans la tête de cette personne malade, vivant avec elle les symptômes d'Alzheimer, contrainte d'avancer à son rythme et donc péniblement dans l'intrigue. Mais c'est en fait là que réside également le tour de force de ce livre, cette capacité de l'auteur à nous faire vivre la maladie qui est à la fois vertigineuse, agaçante et glaçante.

En effet, Maud a perdu toute mémoire immédiate ou récente, donc il est fréquent qu'elle oublie en cours de route vers la cuisine pourquoi elle s'y rendait, ou en sortant de table qu'elle vient de manger. En revanche, sa mémoire à plus long terme est restée à peu près intacte.
Le roman avance donc à un rythme double : le rythme du présent, chaotique, qui cherche à élucider pourquoi Elisabeth, sa voisine et amie a disparu ; et le rythme du passé, plus continu, qui revient sur la disparition de la sœur de Maud, Sukey, juste après la guerre, quand elle était adolescente – éléments qui reviennent par flashs mais toujours beaucoup plus cohérents que le présent.

Aucune des deux "enquêtes" ne crée un véritable suspense pour le lecteur, vu qu'une des enquêtes ne peut viser au mieux qu'à retrouver un meurtrier déjà mort et l'autre ne semblant pas inquiéter grand monde dans l'entourage de Maud, on se doute qu'Elisabeth n'a pas vraiment "disparu".

Il est presque dommage qu'Emma Healey se soit aventurée avec ce sujet très intéressant et admirablement rendu sur les terres du policier car elle ne souffre pas la comparaison avec d'autres illustres romans policiers jouant sur la mémoire tel que "Avant d'aller dormir" et n'arrive guère à convaincre avec ses intrigues.

L'oubli d'Emma Healey, chez Sonatine.

mardi 28 octobre 2014

La faute



 
Encore un excellent roman policier qui ne sombre pas dans le sordide avec force détails macabres et où les femmes et la psychologie ont la part belle. (Bref, ce n'est pas sans rappeler Les Mères, chroniqué il y a peu)

Le titre anglais du roman dit mieux ce qui s'y cache : "Just what kind of mother are you ?". L'auteur raconte d'ailleurs dans ses remerciements qu'en voyant à la télé un reportage sur une mère qui avait oublié son bébé dans la voiture en plein soleil, elle avait eu envie de faire un roman sur toutes ces mères débordées – au nombre desquelles elle-même la première, qui par fatigue, trop-plein de tâches domestiques à penser peuvent commettre une étourderie fatale.

Dans La Faute, l'étourderie de Lisa – qui a oublié que Lucinda devait venir dormir chez elle après la classe, est à l'origine de la disparation de l'enfant. Or Lucinda est de surcroit la fille de Kate, la mère parfaite, wonderwoman qui organise la kermesse, ne fait pas regarder la télé à ses enfants, ni jamais manger de nuggets-frites et vient toujours les chercher à 18h30 tapantes à la sortie de l'école qu'il pleuve, qu'il neige, qu'il vente ; pas le genre de femme à se laisser débordée, pas le genre de femme à oublier quelque chose.

Evidemment Lisa est pétrie de culpabilité, elle qui a déjà tendance à se faire naturellement bouc émissaire, et va donc se mettre en quête de la fillette pour se faire pardonner.  Car le temps presse, déjà 24 heures et avec un récent enlèvement et viol d'une autre jeune fille, on craint le pire.

Paula Daly ne fait pas ici qu'un roman policier, elle fait aussi et surtout un roman sur la société d'aujourd'hui, sur le mensonge, sur la culpabilisation, sur la course à l'échalote que se font les mères dans les cours de récré, sur les apparences que se donnent les parents – ceux qui croient bien faire, ceux qui veulent faire semblant de bien faire. On s'attache particulièrement au personnage de Lisa, la faillible mais courageuse, qui tient debout face au vent pour faire avancer sa petite famille face à cette épreuve. Le personnage de l'inspectrice, Joanne, est très attachant également ; cette policière sérieuse et habile, handicapée par une poitrine proéminente, qui vit avec sa tante et se questionne sur les ravages de l'alcoolisme sur les Anglais. Le cadre est enchanteur et extrêmement bien décrit par Paula Daly : n'étant jamais allée en Cumbrie, j'avais pourtant l'impression de voir défiler le paysage devant moi.

Enfin, pour revenir à l'aspect purement policier, Paula Daly nous tient en haleine, nous lance sur des fausses pistes, nous égare et nous surprend beaucoup avec son final.

La Faute, de Paula Daly aux éditions du Cherche Midi

(Prix des lectrices de ELLE, policier)

jeudi 9 octobre 2014

Le quatrième mur



Ce roman de Sorj Chalandon m'a – une fois n'est pas coutume pour cet auteur, époustouflée. Sorj Chalandon renoue en partie avec une thématique qu'on lui avait déjà connue dans Mon Traitre : l'admiration par le héros d'une figure paternelle qu'il découvre faillible. Mais cela n'est qu'une seule des nombreuses facettes de ce roman éblouissant, qu'on referme avec silence et admiration.

Sorj Chalandon raconte l'épopée de Georges, ancien fervent militant de gauche, pour mettre en scène à Beyrouth l'Antigone d'Anouilh. Cette idée n'est pas la sienne mais celle de son ami Samuel, le grec militant pacifiste dont l'ambition ne s'arrêtait pas à la seule mise en scène mais également à ce que tous les camps de la guerre civile libanaise soient représentés parmi les acteurs. "Antigone était Palestinienne et sunnite. Hérion son fiancé, un Druze du Chouf. Créon, roi de Thèbes et père d'Hérion, un maronite de Gemayzé[…]. Une vieille chiite avait aussi été choisie pour la reine Eurydice, femme de Créon. La "Nourrice" était une Chaldéenne et Ismène, sœur d'Antigone, catholique arménienne".

Ce rêve un peu fou du vieux Samuel, Georges accepte de tenter de la réaliser, de faire 3 voyages à Beyrouth pour rencontrer les acteurs, les faire répéter ensemble et enfin l'unique représentation.

Le livre s'ouvre d'abord sur une première partie qui dépeint le caractère de Georges, ce militant déçu par la démobilisation progressive des troupes, tiraillé entre la violence des convictions et celle des armes. "Ceux qui tenaient bon militaient encore, mais les cœurs étaient lourds. Les nouveaux partisans, redevenus enfants, désertaient un à un le front pour l'arrière, banal. Le local semblait une salle de bal à l'aube avec des tracts épars en cotillons passés". Cette partie plante le décor de la relation entre Georges et Samuel, metteur en scène idéaliste ; faite de respect mutuel, de complicité d'idées et de dévouement silencieux.

Quand Georges accepte la demande de Samuel malade, dépérissant à l'hôpital, débute alors la partie la plus lumineuse du roman, celle où ce rêve un peu fou prend forme, où le théâtre s'immisce dans la guerre, où l'art arrête les fusils pour quelques minutes et fait se rencontrer des ennemis de toujours pour déclamer du Anouilh, le texte annoté à la main. "Il expliquait que chaque acteur avait appris son texte, et qu'il suffisait de quelques répétitions. Il n'y aurait qu'une seule représentation en octobre. Il faudrait une salle neutre, ni dans l'Ouest de Beyrouth, ni dans l'Est. Sur la ligne de démarcation. […]. Il voulait un lieu qui parle de guerre, labouré de balles et d'éclats"

Georges est bien sur hésitant, désarçonné devant l'ambition de l'entreprise, déconcerté quand il découvre le stade réel d'avancement du projet, lui qui de surcroit ne connait pas l'Antigone d'Anouilh. "C'était impensable, impossible, grotesque. Aller dans un pays de mort avec un nez de clown rassembler 10 personnages sans savoir qui est qui. Retrancher un soldat de chaque camp pour jouer à la paix. Faire monter cette armée sur scène […]. Demander à Créon, acteur chrétien de condamner à mort Antigone, actrice palestinienne."

Le premier voyage de Georges à Beyrouth est un véritable enchantement pour le lecteur, à la poésie du théâtre se mêle la difficulté de la guerre, nous faisant redécouvrir au passage toute la complexité de la géopolitique libanaise : les laissez-passer requis pour pouvoir se rendre dans chacune des cinq zones, la prononciation du mot 'tomate' qui permet de catégoriser les personnes d'un camp à l'autre ... Pour convaincre chacun des camps, Georges accepte silencieusement l'interprétation revue et corrigée que chacun lui propose du rôle de son personnage. Ainsi l'interprétation du chrétien lui convient-elle de permettre à son frère de jouer Créon : "Il disait que l'entêtement aveugle [d'Antigone] était érigé contre le sens commun. Il appréciait que son jeune frère incarne Créon le puissant, celui qui dirigeait la cité, qui était craint par son peuple, qui oeuvrait pour l'intérêt de tous, qui gardait la tête haute, qui échappait au déshonneur", tandis que le père des acteurs chiites qui doivent jouer les gardes y trouve aussi son compte : "Mes fils m'ont dit que leur rôle de gardes serait d'entourer leur chef, de le protéger comme un père et de faire respecter son autorité. Ils m'ont expliqué qu'une jeune femme le défiait, qu'à travers lui, elle narguait la loi divine et que ce calife bien guidé mettrait un terme à cette arrogance". Tout comme le druze, dont le fils doit jouer Héron : "Héron était un combattant, un résistant opposé au tyan qui opprimait son peuple. Il expliquait que Nahad [son fils] avait le plus beau rôle, le plus grand de tous. Qu'il incarnait l'exemple, l'espoir, la vie. Que dans cette pièce, il mourrait par amour d'une femme, belle comme celles de leurs montagnes"

La scène de rencontre entre les acteurs est un vrai petit bijou, tendue sur le fil du rasoir, tant les différents acteurs auraient des raisons de se sauter au cou.

Malheureusement la dernière partie du livre décrit la guerre qui reprend ses droits, au Liban mais aussi dans la tête de Georges, qui, rentré à Paris ne parvient plus à reprendre une existence normale, obsédé par Beyrouth, sa pièce et ses acteurs. On plonge alors dans les affres de la guerre, suivant Georges  dans sa muette impuissance face au décirement des camps, face à l'illusion naïve dont il s'est bercé avec son projet.

On referme le livre, coi et soufflé.
Le quatrième mur, de Sorj Chalandon chez Grasset

mardi 30 septembre 2014

Prières pour celles qui furent volées


 
 
J'ai toujours plaisir à découvrir des histoires qui vous dépaysent par leur géographie lointaine, leur contexte différent de notre vie de tous les jours. Avec Prières pour celles qui furent volées, je fus servie.

On y suit le parcours de Ladydi, jeune fille mexicaine habitante de la dangereuse région du Guerrero. Avec sa mère et ses amies – Paula, Estefani, Maria, Ruth etc., elles savent toutes les dangers qu'encourent les jeunes filles dans cette province : non seulement les bêtes, les scorpions albinos, le pesticide très toxique Paraquat déversé par hélicoptère par l'armée pour tuer les plantations des trafiquants, et surtout le pire d'entre eux  qu'elles nomment pudiquement "être volée". Durant la première partie du roman, on la suit donc dans sa cabane à la construction inachevée, faisant chaque jour le trajet jusqu'à l'école qui l'oblige à traverser l'autoroute, guettant le moindre bruit d'hélicoptère (le Paraquat) ou pire de 4x4 (les "voleurs").

Ce roman est avant tout l'histoire d'un pays bouleversé par les cartels, la drogue, la corruption, la misère, aux priorités chamboulées, où même si on ne vit que dans une cabane en tôle et en béton, on a la parabole et la télé grand écran, et où les filles se déguisent en garçon jusqu'à leur adolescence pour faire croire aux voleurs qu'il n'y aura rien à "voler" dans la région.

Jennifer Clément diffuse un certain humour tout au long du roman, à commencer par ce prénom saugrenu pour son héroïne : Ladydi. Ou encore quand elle relate cette croyance qu'a la mère qu'il ne faut pas prier pour ce qu'on souhaite vraiment, sinon on ne l'aura jamais mais toujours pour des choses très matérielles et secondaires qui sont sensées cacher les vraies demandes et donc les exaucer. "Depuis que j'étais enfant, ma mère me disait de faire des prières pour demander des choses. Nous le faisions toujours. J'avais dit une prière pour demander les nuages et pour un pyjama. J'avais fait une prière pour demander des ampoules électriques et des abeilles. Ne demande jamais l'amour et la santé, disait ma mère. Ou de l'argent. Si Dieu entend ce que tu désires vraiment, tu ne l'auras pas. Garanti. Quand mon père nous a quittées, ma mère a dit : "Mets toi à genoux et demande des cuillères""

Ce livre fait le portrait des femmes mexicaines : la mère kleptomane et sur-protectrice (à raison), les filles volées, les bébés-poubelles, les abandonnées, les malades … "C'était une petite indienne du Guatemala à la peau sombre aux cheveux raides et noirs. Moi j'étais un mélange de sang espagnol et aztèque du Guerrero, également la peau sombre et de taille moyenne […]. Nous n'étions que 2 pages dans le livre d'histoire de ce continent. On aurait pu nous arracher de ce livre, nous froisser et nous jeter à la poubelle'

Enfin, c'est surtout le récit d'un amour maternel indestructible, celui de Rita pour Ladydi ; Rita qui l'attend des heures dans la clairière dans la forêt (seul endroit de leur région qui ait du réseau) pour recevoir un appel de sa fille partie à la ville, Rita qui remue ciel et terre pour la retrouver, qui mettra même sa vie en danger pour la protéger des "voleurs"

Rien ne nous est épargné sur la dureté de la vie là-bas, pourtant je dois reconnaitre que ce déballage est plutôt subtil, simplement évoqué. On ne tombe jamais dans la description sordide par le menu de toutes les horreurs que peuvent connaître les jeunes filles. En revanche, cette pudeur donne malheureusement parfois l'impression de lire un roman à destination des adolescentes tant certaines choses y sont éludées, et tant le style peut paraitre enfantin parfois, reproche principal à faire à ce roman qui pêche par trop de simplicité.
 
Prières pour celles qui furent volées, de Jennifer Clément chez Flammarion
 

mercredi 24 septembre 2014

Souvenir périssable

 


Dans le Prix des Lectrices de ELLE, il y a des bonnes surprises et des moins bonnes. Au sein de la pré-sélection de janvier, 3 livres ne m'ont donc pas laissé un souvenir impérissable. Je m'acquitte donc ici de mon  devoir de critique inhérent aux jurées plus que je ne recommande.

Le violoniste de Mechtild Borrman
Je fondais beaucoup d'espoir dans ce roman, qui avait l'air de mêler l'historique au policier - qui plus est dans une époque souvent passionnante, la Russie de Staline. Mais dès les dix premières pages, on comprend que le suspense va être réduit à peau de chagrin. En effet, l'auteur ne s'embarrasse pas de longues pages pour poser le contexte - ce qui aurait pu être une bonne idée, un début dynamique et incisif, mais là ça a surtout l'air trop facile de faire démarrer le livre presque immédiatement par un assassinat qui va mettre le héros sur la piste.
L'histoire en quelques mots : 2008 - un type un peu louche se voit appeler par sa soeur perdue de vue depuis son adoption en foyer d'accueil 15 ans plus tôt.; malheureusement elle se fait assassiner sous ses yeux quand il s'apprête à la retrouver. Le voilà donc traqué par la police qui le soupçonne de meurtre, et lui même à la recherche des meurtriers. En parallèle, on suit l'histoire de ses grands-parents, artistes sous l'ère stalinienne juste après la guerre et bientôt prisonniers politiques envoyés en déportation.
Certaines phrases laissent trop voir la construction du livre qu'a voulue l'auteur. J'illustre mon propose. Par exemple, quand arrive la phrase "Ce violon est la clé de tout, se dit-il" : cela permet juste à l'auteur de justifier que le personnage principal s'oriente dans cette (bonne) direction alors qu'objectivement rien ne permet (et surtout pas au lecteur) de laisser penser qu'il fallait suivre cette piste plutôt qu'une autre.
L'ensemble du livre est donc assez téléscopé et sans grande finesse. "Au moment de partir, elle se ravisa et retourna chercher son manteau d'hiver dans la penderie, geste qui se révèla d'inspiration divine"  - alors même que la femme en question avait déjà eu la bonne idée de coudre toute la nuit dans sa doublure de jupe ses sous et ses bijoux. "Un ange gardien avait du la guider, se disait-elle". Ou plutôt un auteur sans trop d'imagination.

La fille derrière le rideau de douche de Robert Graysmith
Cette fois, le sujet ne m'avait d'emblée pas du tout intéressée : l'histoire du meurtre de la doublure de Janet Leigh dans Psychose, Marli Renfro - qui fut assassinée d'une façon similaire à la fameuse scène de la douche qu'elle jouait dans le film.
Le document m'a semblé très très très bavard, rentrant dans un niveau de détail totalement inutile, se complaisant dans des informations sordides. Au tout début, l'histoire du tournage de la scène culte, qui s'étira sur une dizaine de jours, avec les moyens de l'époque (peu d'effets spéciaux, spectre de la censure à chaque petit bout de peau dévoilé, caméras lourdes et peu maniables ...) révèle quand même quelques passages intéressants. Mais très vite, le livre se recentre sur le parcours de la doublure qui, à part quelques anecdotes rigolotes sur les débuts de Playboy et des playmates d'Hugh Heffner, n'offre que peu d'intérêt. Et celle du tueur que l'on suit en parallèle encore moins ...


Molière à la campagne, d'Emmanuelle Delacomptée
Celui-ci est peut-être le plus réussi des trois mais il faut dire que le sujet fait partie de mes thèmes de prédilection, l'éducation et le monde des enseignants. Emmanuelle Delacomptée livre ici son expérience de 1ère année en tant que professeur de français dans le collège des 7 grains d'Or en Normandie, juste avant sa titularisation.
Le document relate donc les inquiétudes, les difficultés, les petites joies du quotidien de la jeune enseignante, avec force dialogues entre ses élèves et elle. Ils s'appellent tous Jason, Dylan, Jordan, sont en retard de plusieurs années sur le programme, et la laissent souvent découragée.
Toutes les parties où elles relatent la vie de la classe, ses cours, ses interactions avec les élèves m'ont semblée vues, revues et rerevues, et surtout sans aucune subtilité : elle semble avoir rapporté uniquement les moments les plus caricaturaux alors qu'il est évident grâce à certaines informations distillées ça et là, que le quotidien était en fait moins terrible qu'elle ne le décrit (certains élèves ont obtenu les félicitations, un autre professeur en qualifie un de très doué, elle publie un petit mot qu'elle a reçu d'une élève en fin d'année ...).
En revanche, même si elles tombent un peu dans le même travers (exagération, portrait à gros trait), les descriptions des séances de formation auxquelles elle assiste avec les autres aspirants professeurs sont assez édifiantes :  jargon éducatif incompréhensible, inadaptatation totale du contenu des formations aux attentes des enseignants, écoute inexistante ...
"Voyons, voyons, on n'utilise plus l'expression "discours indirect" depuis longtemps, vous allez susciter des confusions ! On dit "paroles rapportées indirectement" ou à la rigueur "énoncé coupé", par opposition à "énoncé ancré"..."
Le livre pêche un peu par sensationnalisme et surtout ne tient pas la comparaison face à d'autres illustres document(aire)s sur ce sujet : Entre les murs, Etre ou Avoir, la Journée de la jupe ...
 

lundi 22 septembre 2014

Le ravissement des innocents


Le ravissement des innocents intrigue d'abord par son titre tarabiscoté, dont on ne comprendra la signification que plus loin dans le roman – et qui diffère grandement de son titre original "Ghana must go" : un drôle de choix de l'éditeur qui couplé à cette couverture à motifs jungle ne rend pas vraiment hommage ni au contenu ni au style du livre.

L'auteure retrace dans ce livre les parcours des différents membres de la famille Sai, explosée à travers les continents américain et africain après la désertion du père - le chirurgien renommé incapable de surmonter la honte et l'effroi de son renvoi de l'hôpital après une (injustement qualifiée) erreur médicale. Sa femme Folasade prendra alors les décisions qu'elle jugera pertinentes pour ses enfants – garder l'ainé Olu à Boston avec elle pour intégrer l'université, envoyer les beaux jumeaux  Taiwo et Kehinde chez leur oncle au Nigeria et garder la toute petite Sadie avec elle ; décisions dont les conséquences se découvriront tout au long du livre.

La vraie prouesse de l'auteure réside dans cette capacité à construire des psychologies complexes et abouties pour chacun de ses personnages – qui nous permet de vraiment cerner chacun d'entre eux comme si on le connaissait intimement, leur prêtant des réflexions et des pensées qui font écho aux nôtres ou à celles de nos proches.
Ainsi, Olu, le fils ainé qui cherche à marcher dans les pas de son père : "Il visitait [la maison de ses amis] tenaillé par l'envie d'avoir une lignée et le sentiment de descendre de personnes immortalisées par des visages sans cadre. L'absence de prédécesseurs dans sa famille l'angoissait ; cela sous-entendait qu'ils jouaient à en être une".

Il est intéressant de suivre les personnages dans leur cheminement psychologique, leur prise de conscience des souffrances qu'ils ont endurées puis refoulées. "C'est stupide à son âge de s'y appesantir, de laisser la pensée prendre forme mais elle est là de toute façon  J'ai souffert de la solitude. Et elle rit, surprise par les larmes qui jaillissent. La révélation ne devrait pas la bouleverser, c'est une évidence maintenant que la vérité lui crève les yeux".

Les rapports entre les frères et sœurs, leurs complexités, la capacité à comprendre à demi-mot les drames qui se jouent, la protection teintée de jalousie, tout cela est particulièrement bien rendu. Il y a notamment une réflexion intéressante tout au long du roman sur les rôles que donnent de fait la famille et qu'on s'efforce de jouer parce qu'à la longue s'est créé un équilibre autour d'eux.
"Toute la matinée, elle a essayé de s'en tenir au scénario, l'air sombre, intéressée, épongeant la sueur sans se plaindre, une tentative de politesse que les autres prennent pour de la bouderie, habitués qu'ils sont à son silence, son humeur noire. Un rôle attribué à l'avance dans la pièce, de même que celui d'Olu est de gérer, celui de Kehinde de maintenir le calme, celui de Sadie de pleurer pour un oui ou pour un non, celui de sa mère de fermer les yeux ; Taiwo boude. Ils comptent dessus, s'y attendent, ça leur manquerait si elle s'abstenait. Personne ne s'inquiète, ne lui demande ce qui ne va pas, s'il est arrivé quelque chose. C'est Taiwo, c'est tout."
L'émotion principale qui transparait vient d'ailleurs de ces rapports familiaux, fraternels compliqués, et quand on comprend que la famille va enfin être réunie, l'émotion atteint son apothéose.

Il faut probablement souligner le style très étonnant de l'auteure, poétique, avec une ponctuation particulière faite de retours à la ligne, de phrases très courtes puis très longues, des interrogations ouvertes en milieu de phrase, des 1, 2, 3, qui surviennent pour hiérarchiser des idées.
"Des gouttes de rosée sur des brins d'herbe, pareilles à des diamants semés en abondance de sa besace par un farfadet qui passait par là, fôlatrant d'un pas ailé dans le jardin de Kweku Sai juste avant l'arrivée de celui-ci"

Ce style peut surement déroute (comme il m'a déroutée moi) et être un frein pour aller jusqu'au bout du roman alors même que l'histoire reste passionnante et très originale.

Pour finir et lever le mystère sur le titre, le ravissement des innocents, c'est donc cette "gaieté indomptable, une qualité que Kweku n'avait remarquée que chez les enfants vivant dans la misère à proximité de l'équateur : la faculté instinctive de se moquer du monde tel qu'il est, d'y trouver matière à rire, un enthousiasme inextinguible devant tout et rien, inexplicablement étant donné la situation"

A lire pour se faire une idée et découvrir une romancière à suivre.

Le ravissement des innocents de Taiye Selasi, chez Gallimard
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